Il est des films comme les livres, de ceux qui marchent à vos côtés, terrés dans un coin de vos pensées, qui vous surprennent quand vous fermez les yeux… De ceux qui restent. Pieces of a Woman est de ceux-là.

Pieces of a woman
de Kornél Mundruczo
scénario de Kata Wéber
avec Vanessa Kirby, Shia LaBeouf
à voir sur Netflix
2021, Canada – 126′
Synopsis
Jeune et beau couple, Martha et Sean s’apprêtent à devenir parents et à accueillir la venue au monde de leur bébé, à domicile, dans leur appartement à Boston. L’accouchement se passe mal, le bébé meurt.
Pourquoi regarder Pieces of a woman ?
Le film démarre sur une longue séquence, quasiment trente minutes, durant laquelle le spectateur est immergé dans l’intimité du couple, comme une plongée en temps réel. Filmée de manière très naturelle, sans surjeu, cette scène est d’une intensité remarquable, d’autant plus que le spectateur sait ce qui attend ce jeune couple. On a mal avec Martha, on tremble et trépigne avec Sean, on attend l’arrivée de la sage-femme et on se crispe aussi lorsqu’on apprend que ce sera une remplaçante. L’arrivée du bébé et son décès subi laissent place à un écran noir et à un titre : Pieces of a woman. Et le visage rayonnant de Martha cède aux traits figés dans la douleur.
Ce film raconte non pas l’arrivée de la vie dans le couple, mais celle de la mort, de la souffrance à l’état brut. Et cette arrivée réveille les souffrances passées, ravive les douleurs et enferment les coeurs. Shia LaBeouf est tout simplement épatant : le mec droit et fort de la première scène se mue en gamin pétri de peurs, submergé par ses vieux démons. D’abord tourné vers sa femme, comme un chalut en détresse chercherait à s’accrocher à la lumière du phare, il se laisse peu à peu détourner et s’abandonne à ses peurs. Sa détresse, lorsqu’adossé à la porte, il quémande ne serait-ce qu’un signe de sa femme tant il a peur de ses propres ténèbres, est si… palpable. Lente et inexorable dégringolade. Difficile de lui en vouloir tant son phare, sa lumière, s’est éteint brutalement… et la douleur fut femme. Vanessa Kirby incarne avec une dignité majestueuse Martha, cette femme endeuillée. Martha, dont le prénom est déjà lourd de sens : un prénom qui résonne et rappelle celui de Marthe de Béthanie, qui a assisté à la résurrection de son frère Lazare… (le deuil ne pousse-t-il pas à une forme de renaissance ? une sorte de résurrection…) Mais revenons à « notre » Martha. Sa douleur est si forte, si intense, si meurtrissante, qu’elle en devient froide, entraînant consternation et incompréhension autour d’elle. Sa douleur est si vive que Martha est comme pétrifiée vivante, incapable de parler. Pieces of a woman, fragments de femme, des morceaux à réassembler, des pièces à faire renaître. Mais Martha n’est pas un simple puzzle et la perte d’un enfant ne se résume pas à un vase qu’on recollerait. C’est long, c’est douloureux, c’est infernal. On assiste alors, figés au fond du canapé, accablé par la douleur de ce couple, à sa lente dislocation, entre tristesse et amertume, chacun si prisonnier de sa souffrance au point de ne même plus pouvoir tendre la main, toucher l’autre ou juste lui parler.
Autour de Sean et Martha gravitent des membres de la famille, plein de bonnes intentions mais tellement maladroits aussi, parfois impatients de vouloir « tourner la page », eux aussi en deuil finalement. Le deuil, véritable mise à l’épreuve des relations familiales…
Evidemment, l’inacceptation, la colère, le désespoir poussent à vouloir un responsable à ce malheur. Dans cette histoire, il est tout désigné : la sage-femme. Fil conducteur du récit en arrière-plan, le procès amène aussi à s’interroger sur le deuil, et ses étapes, mais aussi sur la vie. Inculper la sage-femme rendrait-elle l’acceptation de la mort plus facile pour Martha ? A ce fil narratif s’ajoute un motif récurrent : la pomme, dont Martha finit par faire une fixation, au point de se lancer dans la germination. On comprend tout le sens de cette métaphore filée à la fin du film, révélation particulièrement émouvante.
En bref :
- Vanessa Kirby joue son rôle magnifiquement : avec sobriété et naturel, elle incarne littéralement la Souffrance. Une douleur si intolérable, si infernale, qu’elle en terrasse la jeune femme.
- Ce film aborde avec justesse un sujet intimiste, centré sur le deuil d’un bébé, et c’est un sujet peu fréquent finalement. Il dépeint l’éclatement du couple et la palette d’émotions qui l’accompagne, dans un Boston tout autant glacé que glacial. Métaphore du tumulte intérieur des personnages.